Analyse Partie A:Identifier les cas de travail des enfants

Notre méthode

Nous comparons les taux de cas de travail dangereux des enfants identifiés dans les différents projets de SSRTE au Ghana et en Côte d’Ivoire. Le taux d’identification du travail dangereux des enfants est défini par le nombre d’enfants identifiés comme astreints au travail dangereux des enfants, divisé par le nombre d’enfants interviewés durant les visites d’observation, dans un projet de SSRTE donné. Les données utilisées sont majoritairement issues de premières visites d’observation. Elles ont donc eu lieu avant que les agriculteurs et les enfants interviewés aient reçu un soutien. Nous comparons également les taux de cas de travail dangereux des enfants identifiés dans les SSRTE avec les taux de prévalence du travail dangereux des enfants parmi les ménages producteurs de cacao définis dans des enquêtes représentatives au niveau national.

Image

Le travail des enfants est un travail qui «prive les enfants de leur enfance, de leur potentiel et de leur dignité, et qui nuit à leur développement physique et mental».²⁶

Image

Le travail dangereux des enfants est un travail «susceptible de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l’enfant» en raison de sa nature ou des conditions dans lesquelles il est exécuté.²⁷ Les cadres relatifs aux activités dangereuses, développés par les gouvernements nationaux, listent des tâches spécifiques considérées comme dangereuses.

Ce que nous constatons

Nous constatons d’énormes différences entre les projets de SSRTE au niveau de leur probabilité qu’une visite d’observation débouche sur l’identification d’un cas de travail des enfants (voir graphique 1). Les taux d’identification du travail dangereux des enfants dans les projets en Côte d’Ivoire varient entre 0,5 % et 26,7 %, et dans les projets au Ghana, ils varient entre 2,5 % et 60,4 %. Selon les données de SSRTE à notre disposition, les visites d’observation au Ghana ont plus de chances d’identifier des cas de travail des enfants que celles en Côte d’Ivoire.²⁴ Si cette tendance est cohérente avec les observations des enquêtes de l’Université de Tulane et de NORC, dans le contexte des SSRTE, elle s’explique partiellement par d’autres facteurs qui n’ont aucun lien avec le contexte du pays, notamment les modalités de la collecte de données; les sections suivantes. Il existe toutefois des caractéristiques communes, qui sont elles aussi cohérentes avec les observations des enquêtes sur la prévalence du travail des enfants dans la production du cacao (p. ex. NORC, 2020): dans presque tous les projets, les garçons sont plus susceptibles d’être identifiés comme astreints au travail dangereux des enfants que les filles; et les enfants de plus de 12 ans sont plus susceptibles d’être identifiés comme astreints au travail dangereux des enfants que les enfants plus jeunes.

Selon le Rapport 2020 de l’enquête NORC, qui fournit les meilleures estimations disponibles pour le secteur au niveau national, les taux de cas de travail dangereux des enfants identifiés par un SSRTE sont en moyenne considérablement plus bas que les taux de prévalence de travail des enfants dans la production de cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana. Il est bien sûr possible que la prévalence réelle de travail des enfants parmi les ménages couverts par les projets de SSRTE soit effectivement inférieure à la moyenne nationale (p. ex. en raison de différences entre les profils socio-économiques des agriculteurs qui sont membres de coopératives certifiées, ou en raison de différences entre les zones productrices de cacao). Cependant, au vu de la variation de la prévalence de travail des enfants entre les classes socio-économiques et entre les régions telle que mesurée par l’étude NORC 2018-2019 (voir tableau 2 et graghique 2 ci-dessous, qui montrent les différences entre les échantillons NORC en fonction de l’éducation du père et de la région), nous ne nous attendons pas à ce que la prévalence réelle de travail des enfants pour les agriculteurs couverts par un SSRTE s’écarte de la moyenne nationale d’autant que ce que nous observons ; et nous ne nous attendons pas non plus à ce que les différences entre les groupes d’agriculteurs couverts par différents systèmes soient aussi marquées q

Graphique 1: Taux d’identification du travail des enfants et du travail dangereux des enfants, dans 8 projets différents en Côte d’Ivoire.

Image

Image

Graphique 1b: Taux d’identification du travail des enfants et du travail dangereux des enfants, dans 4 projets différents au Ghana.

Image

Notes : nombre d’enfants identifiés comme astreints au travail dangereux des enfants, divisé par le nombre d’enfants interviewés lors des visites d’observation, dans le cadre de 12 projets de SSRTE dans le secteur cacaoyer en Côte d’Ivoire et au Ghana. Sources des données : données compilées issues des visites d’observation dans 12 projets de SSRTE en Côte d’Ivoire et au Ghana. Taux de prévalence du travail (dangereux) des enfants dans les ménages agricoles des zones cacaoyères de Côte d'Ivoire et du Ghana selon NORC (2000).

Tableau 2 : Taux de prévalence du travail des enfants dans l’ensemble de données des échantillons de l’enquête NORC 2018-2019, en fonction de l’éducation du père (calculs par l’ICI).

Image

Graphique 2: Taux de prévalence du travail des enfants dans l’ensemble de données des échantillons de l’enquête NORC 2018-2019, en fonction de la région (calculs par l’ICI).

Image

Data source: NORC cocoa report data sets.

Image

Notre méthode

Pour les enfants identifiés comme astreints au travail des enfants dans les différents SSRTE, nous comparons le nombre médian d’heures qu’ils ont travaillé en une semaine, tel qu’annoncé par les enfants. Cette information est disponible pour 10 des 12 projets de SSRTE dans notre ensemble de données compilées. Bien que cette information soit recueillie auprès de tous les enfants âgés de 5 à 17 ans, nous prenons ici uniquement en compte les réponses des enfants âgés de 10 ans ou plus. Il est généralement difficile pour les enfants de fournir des estimations fiables sur le temps qu’ils passent à réaliser une certaine activité durant une période de référence donnée, et d’autant plus pour les plus jeunes. Les analyses précédentes de données relatives au travail des enfants dans d’autres contextes réalisées par l’ICI ont montré que les estimations du nombre d’heures travaillées sont beaucoup plus plausibles si elles sont rapportées par des enfants plus âgés.²⁸

Ce que nous constatons

Le nombre médian d’heures travaillées par semaine, tel que rapporté par les travailleurs enfants, varie significativement entre les projets de SSRTE, de 6 à 10 heures par semaine pour les projets en Côte d’Ivoire, et de 2 à 4 heures pour les projets au Ghana graphique 3). De même, la variation au sein même des projets du nombre d’heures travaillées annoncé (indiqué pour chaque projet par la longueur de la boîte, allant du 25ème centile est très différente d’un projet de SSRTE à un autre.²⁹

Le nombre d’heures travaillées par semaine, tel que rapporté par les travailleurs enfants, varie significativement entre les projets de SSRTE, de 6 à 10 heures par semaine pour les projets en Côte d’Ivoire, et de 2 à 4 heures pour les projets au Ghana.

Notes : heures travaillées dans le cacao par semaine telles que rapportées par les enfants identifiés comme astreints au travail des enfants ou au travail dangereux des enfants. Chaque boîte représente un projet de SSRTE. Les boîtes indiquent les intervalles entre le 25ème centile (fourchette basse) et le 75ème centile (fourchette haute), ainsi que les valeurs médianes pour chaque projet; les moustaches vont des valeurs minimales aux valeurs maximales (les valeurs aberrantes sont supprimées). Sources des données : données compilées issues des visites d’observation dans le cadre de 7 projets de SSRTE en Côte d’Ivoire et 3 projets de SSRTE au Ghana qui recueillent des informations sur les heures travaillées par les travailleurs enfants.

Nos conclusions et recommandations

Les analyses précédentes de l’ICI des données sur le travail des enfants issues de différentes sources suggèrent que les estimations annoncées par les enfants du nombre d’heures travaillées varient fortement en fonction de la manière dont les questions sont formulées (p. ex. si les enfants doivent indiquer combien d’heures ils travaillent durant une journée de travail, et combien de jours ils ont travaillé au cours de la semaine passée; ou s’ils doivent indiquer combien d’heures ils ont travaillé chaque jour au cours de la semaine passée).³⁰ De plus, l’expérience de l’ICI en matière de récolte de données a montré que les résultats dépendent fortement du temps et des efforts que le recenseur consacre à aider l’enfant à fournir une estimation. Aussi pensons-nous que les différences d’intensité du travail des enfants mesurées dans le cadre des divers projets de SSRTE sont probablement dues aux différences entre les méthodes de collecte de données, plutôt qu’à une réelle variation du nombre d’heures travaillées.

Les acteurs déployant des SSRTE doivent être conscients des défis méthodologiques qu’implique la récolte de ce type d’informations. Ils devraient:

• s’assurer que les outils de collecte de données, les techniques d’entretien et les formations des recenseurs suivent les meilleures pratiques en matière de techniques d’entretien avec les enfants (par exemple https://childethics.com/ethical-guidance);

• utiliser des périodes de référence courtes (maximum une semaine) lors des questions en lien avec le temps passé sur certaines activités ;

• prévoir suffisamment de temps lors de chaque entretien d’observation pour passer en revue ce module, en acceptant qu’il peut être difficile pour un enfant de donner des estimations précises de fourchettes de temps ;

• utiliser un module simplifié pour estimer l’intensité du travail chez les enfants de moins de 10 ans.

Notre méthode

Nous calculons pour chaque mois de l’année le taux de cas de travail dangereux des enfants identifiés, en utilisant l’ensemble de données compilées issues des entretiens d’observation des projets de SSRTE au Ghana et en Côte d’Ivoire, pour toutes les années où des données sont disponibles.

Puis, nous examinons plus spécifiquement deux facteurs potentiels responsables des fluctuations saisonnières de la participation des enfants au travail agricole. Il s’agit des fluctuations de la demande en main-d’œuvre dans la culture du cacao en fonction du calendrier agricole, et de la disponibilité des enfants scolarisés en fonction du calendrier académique. Pour commencer, nous comparons les taux d’identification du travail des enfants durant et en dehors de la haute saison de récolte du cacao, qui tombe entre le mois d’octobre et de janvier en Côte d’Ivoire et au Ghana. Durant cette période, de la main-d’œuvre supplémentaire est nécessaire sur l’exploitation pour la récolte. Puis, nous observons comment l’identification du travail des enfants diffère selon que l’entretien est mené durant ou en dehors des vacances scolaires. Tout d’abord, nous comparons les entretiens menés durant les vacances de Noël, généralement entre le 22 décembre et la première semaine de janvier (avec de légères variations d’une année à l’autre et entre les deux pays³¹), et ceux menés durant la période de récolte, pendant la période scolaire. Ensuite, pour la période allant de février à septembre (c.-à-d. une fois la saison principale de récolte terminée), nous comparons les entretiens menés durant et en dehors des vacances d’été, qui tombent globalement entre le mois d’août et la première moitié du mois de septembre (avec encore de légères variations d’une année à l’autre et entre les deux pays³²).

Nos données révèlent que l’identification du travail des enfants a un caractère saisonnier, c.-à-d. que la probabilité qu’un entretien détecte un cas de travail des enfants varie systématiquement au cours de l’année. Il est probable que le schéma saisonnier de l’identification du travail des enfants suive globalement le schéma saisonnier de l’incidence du travail des enfants, mais les rapports peuvent être en retard sur l’incidence réelle. En fait, certains des questionnaires utilisés pour identifier le travail des enfants dans le cadre de différents SSRTE spécifient des périodes de référence relatives à l’implication d’un enfant dans un travail dangereux allant jusqu’à 12 mois, ce qui devrait en théorie lisser les taux d’identification du travail des enfants sur l’année. Cependant, nous constatons une forte fluctuation saisonnière du taux d’identification du travail des enfants, même si les outils de collecte de données utilisent des périodes de référence de 12 mois, ce qui suggère l’existence d’un biais d’information en faveur de périodes de références plus courtes. En d’autres termes, les enfants sont plus susceptibles de donner des informations sur le travail qu’ils ont réalisé dans le passé immédiat, que de fournir un compte rendu précis de leur participation au travail sur une période de plusieurs mois ou d’une année.

Nous observons aussi séparément la fluctuation saisonnière des types spécifiques de tâches dangereuses déclarés. Les outils de collecte de données appliqués dans les différents SSRTE utilisent des listes de tâches légèrement différentes, toutes basées sur les cadres juridiques nationaux, mais regroupées différemment. C’est pourquoi nous classons les tâches dangereuses rapportées dans 4 catégories : le port de charges lourdes, le défrichage des terres, l’exposition aux produits agrochimiques, et l’utilisation d’outils tranchants (p. ex. pour ouvrir des cabosses de cacao ou entretenir les plantations).

Ce que nous constatons

Comment l’identification du travail des enfants et le signalement de tâches dangereuses spécifiques fluctuent-ils au cours de l’année?

L’ensemble de données compilées issues des entretiens avec les enfants montre que les taux d’identification du travail des enfants fluctuent fortement au cours de l’année (graphique 4). Nous pouvons voir qu’en moyenne, les enfants sont plus susceptibles d’être identifiés comme astreints au travail dangereux des enfants lorsque l’entretien a lieu entre juillet et décembre. La probabilité d’identifier un cas de travail des enfants est la plus basse si l’entretien a lieu en février, mars ou avril. Veuillez noter que le taux est défini comme le nombre de cas identifiés par nombre d’enfants interviewés. Il dépend donc des fluctuations du nombre d’entretiens réalisés par mois.

Graphique 4: Taux d’identification du travail des enfants, par mois dans lequel l’entretien a été réalisé.

Image

Notes : les taux d’identification du travail dangereux des enfants (c.-à-d. le nombre d’enfants identifiés comme astreints au travail dangereux des enfants, divisé par le nombre d’enfants interviewés lors des visites d’observation) pour chaque mois de l’année, agrégés sur 13 projets de SSRTE dans le secteur cacaoyer en Côte d’Ivoire et au Ghana et sur plusieurs années. Sources des données : données compilées issues des visites d’observation dans 13 projets de SSRTE en Côte d’Ivoire et au Ghana.

La probabilité d'identifier un cas de travail d'enfant est plus elevée lorsque l’entretien est réalisé pendant les vacances, ou pendant la hautre saison de recolte.

Lorsque nous divisons l’année en fonction du cycle de récolte du cacao, nous constatons que les taux d’identification du travail dangereux des enfants sont en moyenne plus élevés de 5,4 points de pourcentage lorsque les entretiens sont réalisés durant la saison haute de récolte (octobre à janvier), en comparaison avec lorsqu’ils sont réalisés en dehors de la saison haute de récolte (18,4 % en dehors de la période principale de récolte contre 23,9 % durant la période principale de récolte; la différence est statistiquement significative à un niveau de 1 %).

Lorsque nous divisons l’année en fonction du calendrier académique, nous constatons que durant la période de récolte, la probabilité qu’un enfant soit identifié comme astreint au travail dangereux des enfants est plus élevée de 8 points de pourcentage lorsque l’entretien est réalisé pendant les vacances de Noël, en comparaison avec lorsqu’il est réalisé durant la période scolaire (31 % pour un entretien réalisé durant les vacances de Noël contre 23 % pour un entretien réalisé entre octobre et janvier, mais en dehors des vacances de Noël; la différence est statistiquement significative à un niveau de 1 %). Nous constatons également que la probabilité qu’un enfant soit identifié comme astreint au travail dangereux des enfants est plus élevée de 3,6 points de pourcentage lorsque l’entretien est réalisé pendant les vacances d’été en comparaison avec lorsqu’il est réalisé durant la période scolaire en dehors de la haute saison de récolte (21,3 % pour un entretien réalisé durant les vacances d’été contre 17,7 % pour un entretien réalisé entre février et septembre, mais en dehors des vacances d’été; la différence est statistiquement significative à un niveau de 1 %).

Comment l’implication des enfants dans différents types de tâches dangereuses fluctue-t-elle au cours de l’année?

Les données montrent également différents schémas saisonniers dans le signalement des types de tâches dangereuses (graphique 5). Le port de charges lourdes est le plus souvent signalé en février, mars et mai, puis une nouvelle fois en novembre et décembre; l’utilisation d’outils tranchants est signalée le plus souvent entre juin et octobre; l’exposition aux produits agrochimiques est signalée avec un pic marqué en mai et juin; et le défrichage des terres est le plus souvent signalé entre mai et juillet. Lorsque nous comparons ces tendances au calendrier agricole de la cacaoculture, nous pouvons conclure que le signalement d’activités dangereuses spécifiques suit l’incidence, avec quelques semaines de décalage. Par exemple, la haute saison pour la pulvérisation de produits agrochimiques d’après le calendrier agricole est de mars à avril, mais le pic de son signalement est en mai.

Graphique 5: Schémas saisonniers pour différentes tâches dangereuses: port de charges lourdes; utilisation d’outils tranchants; exposition aux produits agrochimiques; défrichage des terres.

Image

Note: part d’enfants signalant avoir porté des charges lourdes ; défriché des terres ; été exposé aux produits agrochimiques ; ou utilisé des outils tranchants, parmi tous les enfants identifiés comme astreints au travail dangereux des enfants.. Sources des données : données compilées issues des visites d’observation dans 13 projets de SSRTE en Côte d’Ivoire et au Ghana.

Cependant, en plus de contrôler les informations recueillies lors des visites à domicile, les visites aux exploitations ont un autre objectif important: les données montrent en effet que les visites aux exploitations permettent d’identifier des enfants travailleurs qui n’ont pas été enregistrés du tout lors des visites à domicile. Un nombre considérable d’enfants vus par des agents en train d’aider sur l’exploitation n’avaient pas été enregistrés du tout durant une visite à domicile précédente (voir graphique 7). Le nombre total d’enfants identifiés pour la première fois lors d’une visite à l’exploitation est de 6992, ce qui représente environ un enfant sur trois vu en train de travailler dans une exploitation. Parmi ceux-ci, la part de ceux qui effectuent des tâches dangereuses est de 32 %, un taux très similaire à celui des enfants qui ont été enregistrés lors d’une précédente visite à domicile.

Le nombre total d’enfants identifiés pour la première fois lors d’une visite sur l'exploitation est de 6'992, ce qui représente environ un enfant sur trois vu en train de travailler dans une exploitation.

Graphique 7: Enfants vus en train de travailler sur l’exploitation 

Image

Nos conclusions et recommandations

Les données montrent que les visites à domicile et aux exploitations sont des moyens particulièrement complémentaires pour observer le recours au travail des enfants par les producteurs de cacao, et qu’aucun des deux types de visite ne pourrait remplacer l’autre.

Il est important de noter que les visites aux exploitations peuvent constituer un contrôle supplémentaire pour garantir que tout recours au travail des enfants par les producteurs de cacao couverts par le SSRTE est identifié et peut être traité. Elles permettent de déceler les enfants vivant dans le ménage, mais absents au moment de la visite à domicile et n’ayant pas été mentionnés par les parents; ou les enfants ne vivant pas dans le ménage du producteur (par exemple les enfants travaillant sur l’exploitation de leurs proches ou de leurs voisins). Malheureusement, les outils de collecte de données utilisés lors des visites aux exploitations dans le cadre du SSRTE de l’ICI se limitent aux informations sur le travail effectué par les enfants, et ne comprennent aucune information supplémentaire sur ces enfants, à l’exception de leur nom et de leur code d’identification (les outils de collecte de données sont conçus en partant du principe que les caractéristiques démographiques, la scolarité, les indicateurs de vulnérabilité, etc. de l’enfant sont collectés lors des visites à domicile). Par conséquent, les données disponibles ne permettent pas de mieux comprendre les circonstances et les profils de ces cas de travailleurs enfants.

Deux recommandations importantes émergent de ces observations:

1. Tout d’abord, les SSRTE doivent inclure des mécanismes permettant d’enregistrer les travailleurs enfants qui ne figurent pas sur les listes de ménages agricoles enregistrées par les agents d’observation. Une option consiste à ce que les agents visitent les exploitations cacaoyères sur la base de contrôles ponctuels. Une autre option peut être inclure dans l’entretien de l’agriculteur des questions plus détaillées sur les membres de la famille élargie ou les travailleurs agricoles ne faisant pas partie de la famille, puis de vérifier toute information fournie, par exemple en rendant visite aux travailleurs mentionnés par l’agriculteur et en les questionnant sur l’implication des enfants dans le travail agricole rémunéré; ou en demandant à parler directement aux enfants de la famille élargie qui viennent aider.

2. Deuxièmement, lorsque les visites aux exploitations ont lieu, les outils de collecte de données devraient être alignés avec ceux utilisés lors des visites aux ménages et devraient recueillir des informations sur les caractéristiques démographiques et la situation de tout enfant vu en train de travailler. Ces données devraient ensuite être utilisées pour comprendre les profils des travailleurs enfants n’ayant pas été enregistrés lors des visites à domicile, et pour développer des stratégies permettant de déceler ces cas de manière plus systématique et de les traiter de façon adéquate.

Notre méthode

Nous examinons la probabilité que l’identification des cas de travail des enfants lors de visites d’observations change en fonction du profil des agents réalisant les visites. Nous utilisons les données issues des SSRTE déployés par l’ICI en Côte d’Ivoire, où tous les agents sont membres de communautés productrices de cacao locales ayant reçu une formation spécifique sur le travail des enfants, les techniques d’entretien et la sauvegarde des enfants et recueillant des données auprès de tous les membres des ménages agricoles à l’aide d’applications mobiles de récolte de données. Ces agents sont employés à temps partiel et reçoivent un paiement à titre forfaitaire s’ils effectuent le nombre minimum de visites d’observation par mois. Aussi, tous les résultats rapportés ci-dessous s’appliquent-ils au contexte dans lequel des agents locaux effectuent des visites d’observation du travail des enfants dans le cadre d’un SSRTE, à l’instar du modèle ICI.

Pour notre analyse, nous disposons des informations suivantes concernant les agents d’observation: le sexe, le niveau d’éducation, le lieu de résidence, le nombre de mois que l’agent est en service au sein du SSRTE, et le nombre de ménages agricoles couverts par l’agent. Le lieu de résidence nous permet de différencier les visites d’observation en fonction de si l’agent d’observation qui effectue l’entretien vit dans la même communauté que le producteur de cacao interviewé, ou dans une communauté différente.

Des statistiques descriptives pour les caractéristiques de ces agents et la manière dont elles sont corrélées entre elles dans notre ensemble de données sont présentées et discutées dans l’annexe A.

Pour comprendre la manière dont les caractéristiques des agents influencent potentiellement le résultat des entretiens, nous utilisons une analyse multivariable qui nous permet de séparer les effets des caractéristiques des agents des effets des profils des communautés, des ménages et des enfants couverts par chaque agent. Nous utilisons un échantillon d’environ 7250 entretiens d’enfants pour lesquels nous avons des informations sur toutes les caractéristiques des agents listées ci-dessus, afin d’exécuter une série de modèles de régression logistique spécifiés comme suit:

• la variable dépendante est si un enfant a été identifié comme astreint au travail dangereux des enfants;³⁷

• en guise de variables explicatives, nous additionnons successivement les différentes caractéristiques des agents ;

• en guise de variables de contrôle, nous incluons une série de variables relatives aux enfants, aux ménages et aux communautés dont nous savons qu’elles sont corrélées au travail des enfants ; plus précisément, nous contrôlons l’âge et le sexe de l’enfant, le nombre de membres vivant dans le ménage, si le chef de ménage et son/sa conjoint(e) savent lire et écrire, si le ménage est dirigé par une femme, si la communauté dispose d’une école primaire et d’un accès au réseau électrique, et si elle est accessible par la route toute l’année.

. Nous ajoutons successivement les caractéristiques des agents aux régressions afin de repérer les cas potentiels de multicollinéarité.

Les agents sont des membresde communautés productrices de cacao locales ayant reçu une formation spécifique. Ces agents sont employés à temps partiel et reçoivent un paiement à titre forfaitaire s'ils effectuent un nombre minimum de visites d’observation par mois.

Ce que nous constatons

Les résultats des régressions (tableau 3) suggèrent que, après avoir distingué les autres facteurs,

• Les agents d’observation ayant au moins une éducation secondaire sont plus susceptibles d’identifier des cas de travail des enfants: en moyenne, leur taux d’identification du travail des enfants est de 13 points de pourcentage plus élevé que celui des agents ayant un niveau plus bas d’éducation.

• Les femmes agentes d’observation sont plus susceptibles d’identifier des cas de travail des enfants: en moyenne, leur taux d’identification du travail des enfants est de 19 points de pourcentage plus élevé que celui des leurs collègues masculins.

• Les agents vivant dans la même communauté sont moins susceptibles d’identifier des cas de travail des enfants, d’environ 4 points de pourcentage.

• Les agents d’observation ayant plus d’expérience sont plus susceptibles d’identifier des cas de travail des enfants: avec 10 mois d’expérience supplémentaires, la probabilité que leur entretien identifie un cas de travail des enfants augmente de 2 points de pourcentage en moyenne.³⁸

• Les agents couvrant un nombre inférieur d’agriculteurs sont plus susceptibles d’identifier des cas de travail des enfants : lorsque le nombre d’agriculteurs couverts par un agent augmente de 10, la probabilité qu’un entretien débouche sur l’identification d’un cas de travail des enfants diminue de 2,5 points de pourcentage.

   

Tableau 3: Relation entre les caractéristiques des agents d’observation et l’identification du travail des enfants.

Variables de contrôle supplémentaires comprises dans toutes les régressions pour lesquelles les coefficients ne sont pas rapportés : l’âge et le sexe de l’enfant, le nombre de membres vivant dans le ménage, si le chef de ménage et son/sa conjoint(e) savent lire et écrire, si le ménage est dirigé par une femme, si la communauté dispose d’une école primaire et d’un accès au réseau électrique, et si elle est accessible par la route toute l’année.

Notes : effets marginaux de la régression logistique de l’identification du travail des enfants, introduisant successivement dans les colonnes 1-5 les caractéristiques de l’agent comme variables explicatives, et dans toutes les colonnes prenant en compte les facteurs liés à l’enfant, au ménage et à la communauté. Les effets marginaux montrent de combien le taux d’identification du travail des enfants change avec un changement graduel de chacune des caractéristiques de l’agent. *** p<0,01, ** p<0,05, * p<0,1; erreurs-types entre parenthèses.

Source des données : CLMRS mis en œuvre par ICI en Côte d'Ivoire.

Graphique 8 : Caractéristiques de l'agent affectant la probabilité d'identifier les cas de travail des enfants

Image

Toutefois, les résultats nous permettent d’émettre les recommandations suivantes pour les responsables de SSRTE en ce qui concerne le recrutement et les conditions de travail des agents :

• une éducation secondaire devrait être le critère de sélection principal lors du recrutement d’agents d’observation. Si des candidats qualifiés bénéficiant d’une éducation secondaire sont difficiles à mobiliser, une formation supplémentaire visant à renforcer les compétences nécessaires, ou une supervision et un soutien additionnels pourraient être fournis aux agents ayant un niveau inférieur d’éducation;

• des efforts devraient être déployés pour recruter et garder davantage de femmes agentes d’observation, ce qui s’est avéré difficile dans la pratique; l’ICI prévoit d’explorer, dans une étude complémentaire, quels canaux de recrutement, quelles conditions de travail et quelles mesures de soutien peuvent être utilisés pour atteindre cet objectif;

• les agents communautaires devraient être encouragés à rendre visite à des ménages agricoles en dehors de leur communauté (p. ex. en leur garantissant un accès à des bicyclettes ou des motocycles, ou en prenant en charge les frais de transport);

• le nombre d’agriculteurs couverts par agent devrait être déterminé en accord avec le temps que l’agent peut dédier à ce travail, afin de garantir que les agents ont un temps réaliste à disposition pour réaliser chaque visite d’observation avec toute l’attention nécessaire;

• les agents devraient être incités à rester en poste une fois qu’ils ont acquis de l’expérience.

Il existe bien entendu de nombreuses caractéristiques relatives aux agents qui peuvent être au moins aussi importantes que celles listées ci-dessus. Elles sont cependant trop difficiles à mesurer et ne sont pas reflétées dans nos données (comme la capacité des agents à gagner la confiance des enfants, leur statut social et leur réputation au sein de la communauté, ou les relations développées avec les agriculteurs). De plus, les observations présentées ici s’appliquent uniquement au contexte d’un modèle de SSRTE utilisant des agents communautaires pour observer le travail des enfants, et se basent uniquement sur les données de la Côte d’Ivoire.

L’encadré 2 présente l’expérience de PMI dans le cadre de son programme de pratiques de travail agricole (ALP), où l’efficacité du programme pourrait être améliorée par la formation de femmes au poste de techniciennes de terrain et par la reconnaissance du rôle des femmes en tant que vecteurs de changement au sein de la famille et de la communauté.