Introduction

Les systèmes de suivi et de remédiation du travail des enfants (SSRTE) sont un moyen d’attribuer de manière ciblée des mesures de prévention, d’atténuation et de remédiation aux enfants astreints au travail des enfants ou à risque, ainsi qu’à leur famille et leur communauté.

Les systèmes visant à observer et suivre le travail des enfants ont émergé dans les années 1990, et leur développement a largement été guidé par le Programme international pour l’abolition du travail des enfants (International Programme on the Elimination of Child Labour – IPEC) de l’OIT. Ces systèmes, dont le but est d’identifier les enfants astreints au travail des enfants et de les y soustraire, s’appuient sur les éléments clés suivants : «des observations régulières, répétées et directes pour identifier les travailleurs enfants et déterminer les risques auxquels ils sont exposés, l’orientation de ces enfants aux services, la vérification qu’ils ont été soustraits au travail, et leur suivi ultérieur pour veiller à ce que leur situation se soit améliorée».9

Des systèmes visant à suivre et remédier au travail des enfants ont été déployés dans divers pays en partenariat avec un panel d’acteurs locaux et nationaux, et dans de nombreuses chaînes d’approvisionnement différentes, y compris celle du cacao.

Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme de l’ONU de 2011 ont imposé aux entreprises la responsabilité de mettre en place une «procédure de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme pour identifier leurs incidences sur les droits de l’homme, prévenir ces incidences et en atténuer les effets, et rendre compte de la manière dont elles y remédient» et de proposer des «procédures permettant de remédier à toutes les incidences négatives sur les droits de l’homme qu’elles peuvent avoir ou auxquelles elles contribuent».10 Ces mêmes messages apparaissent dans les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, qui soulignent la responsabilité qu’ont les entreprises d’honorer leur devoir de diligence. Celles-ci expliquent que «parer aux incidences négatives, réelles et potentielles, sur les droits de l’homme consiste à prendre des mesures adéquates pour repérer, si possible prévenir, et atténuer les incidences potentielles sur les droits de l’homme, parer aux incidences réelles, et rendre compte des mesures prises à cette fin».11

En réponse à ces directives, un nombre croissant d’entreprises ont reconnu le travail des enfants en tant que risque important pour les droits de l’homme, et ont adopté des systèmes de suivi et de remédiation du travail des enfants comme moyen d’honorer leur devoir de diligence en réponse à ce risque.

Cette tendance est stimulée par le grand nombre de législations adoptées ou en cours d’élaboration dans différents pays, qui rendront obligatoire la diligence raisonnable en matière de droits de l’homme pour les entreprises qui exploitent des chaînes d’approvisionnement mondiales.12 Une telle législation devrait progressivement obliger les entreprises à évaluer les risques en lien avec le respect des droits de l’homme dans leurs chaînes d’approvisionnement, prendre des mesures pour prévenir, atténuer et combattre ces risques, garantir que les victimes d’abus en matière de droits de l’homme reçoivent une solution de remédiation, et à rendre des comptes sur leurs efforts et leurs résultats.


Un nombre croissant d’entreprises ont reconnu le travail des enfants en tant que risque important pour les droits de l’homme, et ont adopté des systèmes de suivi et de remédiation du travail des enfants comme moyen d’honorer leur devoir de diligence en réponse à ce risque.

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Aissa

 

Pour la présente étude, nous adoptons une définition opérationnelle d’un Système de suivi et de remédiation du travail des enfants qui, conformément au langage des Principes directeurs de l’ONU, inclut une mention explicite à l’observation et à la remédiation, et qui est tirée sur l’Étude comparative sur les SSRTE.13 Selon cette définition, un SSRTE doit pouvoir mettre en place les activités de base suivantes :

  • Sensibiliser les agriculteurs, les enfants et l’ensemble de la communauté au travail des enfants et aux préjudices qu’il cause.
  • Identifier les enfants astreints au travail des enfants à l’aide d’un suivi régulier et répété, en utilisant des outils de collecte de données standardisés
  • Mettre à disposition un soutien (prévention et remédiation) aux enfants astreints au travail des enfants ou à risque, à leur famille et leur communauté, et documenter l’aide fournie.
  • Établir un suivi avec les enfants identifiés comme astreints au travail des enfants et continuer de suivre régulièrement leur statut jusqu’à ce qu’ils ne soient plus astreints au travail des enfants et qu’ils aient des alternatives satisfaisantes.14

Toutes les activités de base d’un SSRTE devraient: être déployées, dans la mesure du possible, en partenariat avec des structures existantes déjà en place visant à combattre le travail des enfants, en particulier avec les structures gouvernementales; viser à renforcer les capacités des acteurs locaux et des systèmes existants de protection de l’enfant; et recourir à une vérification par un tiers indépendant des résultats de ces activités.

Dans le secteur des petits exploitants agricoles, et dans le secteur cacaoyer en particulier, les systèmes de suivi et de remédiation du travail des enfants (SSRTE) sont devenus de plus en plus fréquents, en partie grâce à leurs résultats prometteurs,15 mais aussi car leur mise en place est devenue une obligation imposée par le Code principal de conduite UTZ de 2016 et par la stratégie CocoaAction 2015 de la World Cocoa Foundation (WCF). En 2020, Rainforest Alliance a publié sa norme d’agriculture durable (Sustainable Agriculture Standard), dont l’élément central est la nécessité «d’évaluer et combattre» (Assess and address) le travail des enfants, ainsi que les autres risques liés aux droits humains.16 Au Ghana et en Côte d’Ivoire, les systèmes de suivi et de remédiation du travail des enfants sont une obligation explicite imposée aux groupes d’agriculteurs certifiés.17

Il est estimé qu’en 2020, les systèmes de suivi et de remédiation du travail des enfants couvraient environ 25 % de tous les ménages producteurs de cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana.18 Diverses parties prenantes, y compris des gouvernements, des organismes de certification, des entreprises et des organisations associatives, mettent en œuvre, soutiennent ou exigent de plus en plus des SSRTE, et plusieurs acteurs se sont déjà engagés à mettre à l’échelle de manière significative les SSRTE dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement du cacao.19

Objectifs et champ d’application de l’étude

Dans la présente étude, nous examinons plusieurs systèmes de suivi et de remédiation du travail des enfants actuellement implantés dans le secteur cacaoyer en Afrique de l’Ouest. S’appuyant sur l’Étude sur l’efficacité des systèmes de suivi du travail des enfants dans le secteur des petits exploitants agricoles d’Afrique subsaharienne de 2017,20 également réalisée sous forme d’exercice collectif multipartite dirigé par l’ICI, cette seconde phase nous a permis de rentrer davantage dans les détails en nous basant sur les données issues des SSRTE implantés par un large panel d’acteurs, notamment le gouvernement, le secteur privé et la société civile. Pour la présente étude, nous avons analysé les informations fournies par 9 parties prenantes déployant un SSRTE, ainsi que des données détaillées issues de 12 projets de SSRTE, afin de comprendre comment les différences dans la conception, la mise en place, la conduite et la gestion de tels systèmes affectent leur fonctionnement. Nous utilisons ces renseignements non pas pour recommander une seule approche ou pour proposer un «modèle miracle» de SSRTE, mais plutôt pour mettre en lumière différentes modalités qui ont été choisies par les parties prenantes et pour comparer, dans la mesure du possible, leur efficacité en fonction de différents critères.


En 2020, les systèmes de suivi et de remédiation du travail des enfants couvraient environ 25 % de tous les ménages producteurs de cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana.

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Le but général de cette étude est d’identifier les manières d’améliorer l’efficacité et la efficience des systèmes de suivi et de remédiation du travail des enfants, afin de guider les efforts actuels visant à les mettre à l’échelle.

Cette étude a été dirigée par un groupe de travail technique constitué de parties prenantes aux SSRTE issues de l’industrie cacaoyère et chocolatière et d’organisations à but non lucratif qui ont déterminé ensemble les questions de recherche, perfectionné les critères d’efficacité, intégré les données de leurs systèmes à l’analyse, et participé à l’examen des observations et des recommandations. Le catalogue de questions de recherche, le plan d’analyse de données et les résultats analytiques ont également été revus par un expert académique externe.

Cette étude vise à répondre à deux questions principales:
  1. Comment les modalités/composantes du système affectent-elles l’efficacité de l’identification du travail des enfants, de sa remédiation et du retrait des enfants?
  2. Comment la configuration et les modalités institutionnelles du SSRTE encouragentelles la durabilité, le renforcement des capacités, son appropriation par les acteurs locaux, le renforcement des structures existantes, ainsi que la prévention du travail des enfants sur le long terme?